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Mali : dépasser la stigmatisation liée au handicap

Un conflit armé n’épargne personne. Il rend encore plus vulnérables ceux qui le sont déjà, en particulier les enfants. Alioune, six ans, encore insouciant et rêveur, a vu sa vie basculer lorsqu'il a été amputé d’une jambe à la suite d’une blessure par balle.

Cette journée de mars 2015 avait commencé comme toutes les autres. Alioune jouait au ballon avec ses amis près de la maison de sa grand-mère chez laquelle il vivait. Soudain, des tirs ont retenti.

Pendant qu'on fuyait, une balle m'a atteint à la jambe. Mes amis pleuraient en me demandant de me relever, mais je n'y arrivais pas, détaille Alioune.

La grande mère d'Alioune, fortement choquée par cette nouvelle, n'y a pas survécu. Quant à Alioune, il a été transporté d'urgence à l'Hôpital de Gao, dans le nord du Mali. Le verdict médical a été sans appel :

« Les médecins nous ont dit que la jambe était irrécupérable car les os avaient été broyés. Ils l'ont amputé », s'exprime tristement Hounedjata, la mère d'Alioune.

Suite à notre partenariat avec Brut, cet article a été complété le 10.07.2023 avec une vidéo autour de l'histoire d'Alioune.
À regarder en fin d'article.

Sidi B. Diarra/CICR

Alioune repense à cette triste journée.

Une fois sorti de l'hôpital, Alioune est retourné directement chez ses parents, sur l'île de Djenegadaga, près de Mopti, sans recevoir de services ou de soins particuliers. A cette époque, aucune organisation ne proposait dans la région de service d'appareillage ou de rééducation physique destiné aux blessés de conflit. A Djenegadaga, il a affronté de nombreux défis liés à sa condition de personne en situation de handicap.

Quand vous amputez une personne, vous lui enlevez une partie de son corps. Cela affecte le patient non seulement sur le plan physique, mais aussi psychologique, explique le docteur Kinta, directeur du Centre régional d'appareillage orthopédique et de rééducation fonctionnelle de Mopti.

 La première épreuve a été d'affronter la stigmatisation et les regards lourds de jugement, qui l'ont énormément affecté.

« Il a abandonné l'école à la quatrième année parce qu'on se moquait de son handicap. On le frappait, on lui retirait la canne en fer qu'il utilisait. Il revenait continuellement en pleurant et je pleurais avec lui », confie Hounedjata.

« Ils me disaient que je n'avais qu'une seule jambe, et ça me faisait mal », avoue Alioune.

Après avoir abandonné l'école, le garçon n'a pourtant pas baissé les bras. Il voulait vivre dignement malgré son handicap. Avec son père, Alioune aide les gens à traverser en pirogue l'étendue d'eau qui sépare la ville de Mopti de l'île Djenegadaga. Cette activité lui permet de soutenir ses parents. À ses heures perdues, il joue avec les amis qui ne le stigmatisent pas. Soucieux du bien-être et de l'avenir de leur enfant, mais n'ayant pas l'argent pour prendre soin de lui, les parents d'Alioune ont dû emprunter çà et là.

« Nous ne sommes pas encore arrivés à éponger nos dettes», raconte sa mère.

La prise en charge d'un tel handicap nécessite des ressources financières importantes : l'enfant a besoin d'une nouvelle prothèse chaque année, jusqu'à la fin de sa croissance, ainsi que d'un suivi régulier dans un centre d'appareillage. Sous le poids du chagrin, ses parents avaient perdu tout espoir de le voir un jour retrouver une mobilité satisfaisante.

Sidi B Diarra/CICR

Faire traverser les passants permet à Alioune de générer un peu d'argent.

L'espoir renait

La donne change quand Hounedjata et son mari apprennent l'existence du service d'appareillage et de rééducation physique proposé par le Comité international de la Croix-Rouge à Mopti. Dans l'espoir de le voir bénéficier d'une prothèse, la mère d'Alioune l'amène dans ce centre ouvert en 2021, très bien équipé, moderne et répondant aux standards internationaux du service orthopédique. Le garçon obtient rapidement une prothèse et suit des séances de rééducation physique.

 Appareiller un patient, c'est lui restituer au moins sa physiologie. Cela lui apporte beaucoup de confort psychologique. Et mieux que ça, c'est lui rendre ainsi sa motricité et son autonomie, explique le docteur Kinta.

Le centre de Mopti accueille des patients de tous bords et de tous horizons. Ils y sont hébergés et reçoivent de la nourriture en plus des soins et de l'accompagnement nécessaires.

Aboubacar Sangaré, responsable des orthoprothésistes du centre, explique l'approche de son personnel avec les patients : « Comme tous les enfants de son âge, Alioune aime s'amuser. Alors à chaque fois qu'il vient, nous jouons ensemble à divers jeux. C'est un moyen de le rassurer, de lui montrer qu'on est avec lui, qu'on le soutient et qu'il peut tout faire. Nous mettons en place des mécanismes identiques avec chaque patient. Cela nous permet de créer un climat de confiance avec eux. »

Sidi B Diarra/CICR

Séance de consultation avec l'équipe du CICR au centre de Mopti

Aujourd'hui âgé de 13 ans, Alioune s'épanouit grâce à cette prothèse. Le volet d'inclusion sociale du programme de réadaptation physique du le CICR permet la prise en charge de ses frais de scolarité ainsi que le financement d'un microprojet générateur de revenus pour sa maman. L'objectif est d'assurer un avenir à Alioune et de renforcer la résilience de sa famille. 

 

Sidi B. Diarra/CICR

Alioune retrouve goût à la vie et a de grandes ambitions.

« Cette nouvelle jambe me permet de commencer une nouvelle vie, d'aller à l'école sans difficulté et de réaliser mon rêve », confie Alioune, les yeux lumineux. Quand on lui demande quel est ce rêve, Alioune répond en souriant : « Devenir médecin pour rendre service aux gens ».

L'histoire d'Alioune n'est pas un cas isolé. C'est pourquoi le CICR poursuit ses actions multidisciplinaires pour soulager la souffrance des personnes touchés dans leurs chairs et leur esprit par le conflit. Ainsi, de janvier à juin 2022, grâce à son programme de réadaptation physique, le CICR a ainsi assisté plus de 7000 personnes dans les cinq centres orthopédiques qu'il soutient (Bamako, Gao, Tombouctou et Mopti).

 

Cette vidéo a été diffusée sur Brut Afrique. Elle fait partie d'une série de courts reportages visant à montrer le travail du CICR sur le terrain.

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